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Conflits armés à Port-au-Prince et responsabilités pénales et civiles des acteurs  au regard du droit international humanitaire

Par : Benjamin FELISME, Juge au TPI de Port-au-Prince, Doctorant en droit international humanitaire.

I-Résumé

Cet article s’efforce de dégager, à partir des données empiriques et conceptuelles, une nouvelle compréhension de l’épiphénomène « Violences armées » qui s’installe au cœur de la Capitale depuis environ deux ans sous le regard passif de l’élite au pouvoir. Ce travail de Recherche nous permet de saisir de manière scientifique et rationnelle l’évolution du phénomène de Conflits armés dans les quartiers populaires, l’organisation et le mode opératoire des gangs armés, les causes et les conséquences des différentes guerres entre les groupes armés, d’une part et entre la police/ militaire et les groupes armés, d’autre part. Il nous permet, en outre, de comprendre la perception des habitants des différents quartiers ruinés par la guerre, les Responsabilités pénales et civiles des auteurs au regard du droit international humanitaire et les tribunaux compétents pour connaitre de leur sort.

En effet, diverses méthodes et approches méthodologiques nous ont conduits sur la voie désirée : 1- l’approche ethnographique nous permet de recueillir les données empiriques sous formes de témoignages des habitants qui ont vécu dans ces différentes zones, dites zones de non droit. 2- L’analyse de contenu qui est une technique nous permettant d’analyser, de synthétiser, de classer et de mesurer les informations recueillies pour les rendre quantifiables. 3- La méthode de recherche documentaire nous permet de comprendre et d’expliquer les données empiriques à partir des concepts et des théories du droit international humanitaire pour pouvoir construire de nouvelles connaissances scientifiques.

 Les résultats de l’enquête nous ont permis de mieux comprendre la réalité factuelle des conflits armés  à Port-au-Prince, ce qui nous pousse à déconstruire les stéréotypes que nous avions à propos du phénomène. Et, finalement, les multiples instruments internationaux signés et ratifiés par Haïti ont été passés en revue. Ainsi, le syllogisme juridique nous a conduits à  la conclusion suivante : les auteurs et complices des violences armées violent l’article 3 de la convention de Genève du 12 juin 1949 sur les conflits armés internationaux et non internationaux, et sont coupables, en conséquence, du crime de guerre et crime contre l’humanité. De ce fait, les tribunaux nationaux, internationaux et mixtes sont compétents pour les juger n’importe où et n’importe quand, en vertu du principe de l’universalité et de l’imprescriptibilité de ces infractions. 

II-Mots clés

CONFLITS ARMES, RESPONSABILITES PENALES, RESPONSABILITES CIVILES, DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE, TROUBLE CIVIL, GUERRE CIVILE, CRIME DE GUERRE, CRIME CONTRE L’HUMANITE, COUR PENALE INTERNATIONAL, TRIBUNAL INTERNATIONAL, TRIBUNAL MIXTE. 

III-Introduction

Depuis bien des lustres, Haïti s’apparente à un cauchemar en plein sommeil paradoxal. Ses filles et fils vivant sous d’autres cieux éprouvent à la fois un mélange de Nostalgie et d’Anxiété de se revoir dans le pays où est implanté leur cordon ombilical. En effet, étant sorcière pour les fruits de ses propres entrailles, comment vouloir que les voisins lui confient la garde de les leurs ? Loin de là, les Gouvernements des prétendus pays amis ne cessent de déconseiller à leurs nationaux de fouler le sol du territoire dessalinien pour motifs d’insécurité. Evidemment, l’insécurité bat son plein en Haïti, elle atteint l’altitude et prend sa vitesse de croisière en élisant domicile dans nos quartiers les plus divers. Au fait, elle se manifeste en épiphénomènes dont les uns sont plus graves que les autres. Dans le contexte du présent article, il nous revient de mettre en relief les manifestations visibles de l’insécurité sous forme de différents Conflits armés à Port-au-Prince et les responsabilités éventuelles des acteurs qui y sont impliqués au regard du droit international humanitaire. En effet, pour dégager la problématique de ce travail, il s’avère important de formuler les questions suivantes : 

-1 Existe-il vraiment des groupes armés à Port-au-Prince ?  -2 Où sont-ils localisés ?  -3 Comment s’organisent-ils ?  4 Quels sont leurs modes opératoires ?

 

IV-Problématique

Selon la Stratégie Nationale pour le désarmement, le démantèlement des groupes armés et la réinsertion des individus désarmés SNDDR, il existe en Haïti environ 162 groupes armés qui ont un effectif d’environ 3000 soldats armés dont des enfants, des adolescents et des jeunes. Ces gangs se localisent en majorité dans les villes suivantes : Port-au-Prince, Croix-des-bouquets, Gonaïves, Petite Rivière de l’Artibonite, Jérémie, Cap-Haitien. Ils ont une organisation interne avec un haut commandement, un Général qui transmet des ordres à ses exécutants ( des petits soldats) qui sont tenus d’obéir sous peine d’être sanctionnés pour avoir désobéi aux ordres du supérieur hiérarchique qui détient un droit de mort et de vie sur eux. En effet, si les gangs armés ont une organisation quasi-similaire à celle de l’armée et de la police, ils ont aussi un mode opératoire très technique, ils utilisent des enfants, des cireurs de bottes, des mendiants et des personnes portant des haillons qui s’apparentent aux déments pour pouvoir dévier la police ou d’autres ennemis. Mais, ils ont aussi un moyen de communication propre au groupe, le plus souvent, ils utilisent un langage codé ou des gestes pour se faire comprendre dans des situations difficiles ou d’attaques. Ils occupent un territoire où ils règnent en Maitres et Seigneurs. Ils y sont à la fois, Souverains, Législateurs et Juges. Dans leur Seigneurie, nul n’a le droit de se faire justice soi-même. Les habitants de ces quartiers, sous aucun prétexte que ce soit, n’ont aucun droit de faire appel à la police pour résoudre leurs contentieux, au contraire, ils doivent s’adresser au chef établi par le Général pour résoudre leurs différends après paiement d’un montant de 1000 gourdes par chaque partie respectivement ; Celui qui est reconnu fautif, à titre de sanction, peut être bastonné ou fouetté par le chef. La sanction peut aller jusqu’à la mort du défaillant suivant l’ampleur du dossier ou en cas de récidive. Mais, par-dessus tout, les groupes armés sont-ils des enfants du bon Dieu ? 

Les gangs armés ont comme activités lucratives : Pillages, braquages, vols à mains armées, enlèvement suivi de séquestration contre rançon. Le pis de tout cela, les personnes séquestrées sont souvent violées, torturées et exécutées.  Selon l’Agence France-Presse, des centaines d’Haïtiens, contraints de fuir leur domicile à cause d’affrontements entre le groupe armé présidé par A et d’un autre groupe dirigé par B à Martissant, la 3eme section communale de Port-au-Prince. La protection civile a recensé 562 déplacés, parmi lesquels 69 enfants et 5 femmes enceintes. La guerre de Troie ne s’arrête pas encore, selon un rapport de la RNDDH repris par le Journal Alter presse en date du 19 Décembre 2019, qu’en dates du 4 au 8 Novembre 2019, à Bel-Air, un Quartier situant au Centre-Ville de Port-au-Prince, à proximité du Palais national, un massacre a été perpétré par le gang armé dirigé par C, lors duquel, 24 personnes ont été tuées et 5 autres blessées par balles, 8 véhicules roulants, soit 7 voitures et 4 motocyclettes ont été incendiées et deux maisons ont été criblées par balles. La stratégie employée par ce gang, (toujours selon le même rapport) est la carbonisation des cadavres ou les emporter pour ne pas laisser d’indices ou de preuves. Ce même gang est reproché d’avoir participé au fameux massacre de La Saline en date  du 13 et 14 Novembre 2018 qui a donné comme résultat la mort de 26 personnes, l’incendie de nombreuses maisons et la désertion de beaucoup de familles. Récemment, en pleine période festive, (24 décembre 2021) l’ange de la mort s’est fait remarquer à Martissant, tandis que les bandits ont fait 7 morts et plusieurs blessés dans un véhicule. Ces différents actes et comportements sont gravissimes voire inhumains. Comment peut-on les expliquer ? Qui sont les principaux responsables ?  Qu’en dit le droit international humanitaire ? 

Dans un souci de compréhension et d’explication du phénomène criminel en Haïti, nombre d’auteurs et chercheurs se sont intéressés à y trouver  une explication scientifique :

1-Le Professeur James BOYARD, dans un article publié dans les colonnes du Nouvelliste en date du 28 Avril 2021, titré « La Criminalité 2-0, une menace pour Haïti. » a fait la peinture de la criminalité en col blanc en Haïti et en a présenté les causes, les conséquences et les moyens de les enrayer.

2-Dr Thomas LALIME, dans un article titré « insécurité en Haïti, de François DUVALIER à Jovenel MOISE » a mis en relief l’aspect récurrent de l’insécurité haïtienne ainsi que les causes et les conséquences de cette insécurité et l’impuissance de la force publique pour l’enrayer.

3- André CORTEN, dans « Criminalité et imaginaire de la criminalité » a cerné un autre paramètre de la criminalité dans la mesure où il a mis de l’emphase sur la violence symbolique exercée par l’Etat et la religion.

4-Le professeur Laennec HURBON a écrit : «  Violence et raison en Haïti » où il a retracé les origines historiques de la Violence haïtienne qui selon lui, tire son explication dans le génocide des indiens, la traite negrière et l’esclavagisme.

5- Athena R. KOBE, dans un article scientifique titré : « Revisiting Haiti’s gangs and organized Violence. » a essayé d’expliquer la violence en Haïti à partir de l’insécurité économique, l’instabilité politique et l’analphabétisme.

Ces chercheurs et bien d’autres ont essayé d’expliquer le phénomène d’insécurité en Haïti tout en mettant l’emphase sur un aspect spécifique du problème. Ainsi, à l’instar de tout travail scientifique, leurs travaux ont des limites. D’où l’originalité de notre  travail de recherche qui a pour objectifs de :

-Dégager une compréhension objective du phénomène de « conflits armés » à Port-au-Prince

-Déterminer les responsabilités pénales et civiles des acteurs non étatiques et étatiques vis-à-vis de la société et des victimes des conflits armés au regard du droit international humanitaire.

-Qualifier les faits qui seront reprochés aux Responsables de ces actes et déterminer les tribunaux compétents. 

V-Méthodologie

Pour atteindre de tels objectifs, nous recourons à : 1- l’approche ethnographique tout en utilisant des techniques d’enquêtes et d’entretiens après avoir soigneusement préparé un questionnaire comprenant une question semi-directive adressée à tous les interviewés. 2- L’analyse de contenu nous permettant d’analyser et de synthétiser les informations recueillies afin de faciliter la compréhension des lecteurs ( Logométrie). 3- enfin, nous avons utilisé la méthode de recherche documentaire nous permettant de passer en revue les traités, les  conventions internationales, les ouvrages, les codes et les articles scientifiques.

VI-Résultats

Dans le cadre de ce travail, nous avons réalisé un entretien avec 10 étudiants dont nous nous   abstenons de citer les noms pour ne pas déroger aux règles d’éthique qui gouvernent la recherche. Ces étudiants sont issus d’endroits différents dont 2 de Martissant qui sont présentement délogés pour motifs d’insécurité, 1 de Carrefour feuille, 2 de Cité Soleil, 2 de Wharf Jérémie, 1 de Delmas 6, 2 de Carrefour Peant. 

Par ailleurs, nous tenons à souligner à l’attention de nos lecteurs que les enquêtes s’échelonnent sur la période allant du 14 au 19 Décembre 2021. 

En effet, nous formulons une seule question ouverte et identique à chaque Interviewé tout en lui accordant le temps qu’il faut pour y répondre. Dans les lignes qui suivent nous vous présentons les résultats de l’enquête.   

Q-Comment comprenez-vous le phénomène de « Conflits armés » à Port-au-Prince ?

Réponse 1 : Les conflits armés sont aussi terribles qu’un Séisme. J’ai habité la zone de Martissant depuis mon enfance, moi, ma mère et ma petite sœur. Les bandits nous connaissent très bien, certains d’entre eux fréquentaient la même école que moi, toutefois, nous ne prenons pas la même voie. Ils me respectent car ils savent que j’ai ma position dans la zone, je ne les critique pas mais je prends ma distance par rapport à leurs agissements. Soudainement, un Vendredi j’ai été à l’école, ma mère m’a appelé pour me dire de ne pas rentrer chez moi parce qu’on a fait une tentative d’incendier notre maison. Depuis lors, nous nous cohabitons avec un cousin à Mariani. Il faut dire que les bandits qui tentaient de bruler notre maison ne sont pas de la zone, c’étaient les hommes de B qui étaient en Guerre avec ceux de Grand-ravine. Nous voudrions bien revenir à la maison mais, présentement, la zone est déserte.

Réponse 2 : J’habite à 5eme Avenue, à proximité de Martissant, j’ai habité encore la zone, mais jadis quand il y avait guerre entre les hommes de grand-ravine et ceux de 5eme, je me réfugiais chez ma tante qui habite en plaine. Il faut dire que les hommes de 5eme ont une certaine accointance dans le temps avec le pouvoir en place, dans ce cas ils sont considérés comme traîtres par ceux de Grand-ravine qui leur déclaraient toujours la guerre. Mais, il faut souligner que les hommes de Grand-ravine n’ont pas de pitié, quand ils descendent ils ont un slogan : « ravin an desann » ce qui signifie que les coupables et les innocents sont traités de la manière.

Réponse 3 : j’habite à Savann pistach (Savanne de Pistaches), j’habite la zone depuis longtemps puisque ce sont mes parents qui construisent la maison familiale. Autrefois, la zone était difficile à cause de la présence de C  un ancien chef gang de la zone. Il faut dire maintenant, nous respirons mieux, il n’y a plus de chef gang là-bas, mais la présence des policiers à cause de la construction d’un commissariat. Pourtant, au début du mois de Novembre, le groupe armé de B voulait prendre possession de la zone, mais ils ont été mis en déroute grâce à la vigilance de la population, la police et un autre groupe armé. 

Réponse 4 : j’habite à Delmas 6,  à proximité du Lycée Daniel FIGNOLE, nous connaissons toute sorte de misère noire dans la Zone, surtout quand les hommes de Bel-air y débarquent, ils n’ont pas de pitié, ils viennent dans l’esprit de vengeance à cause de ce qu’a fait le groupe armé de C au Bel-air. Il faut ajouter à cela les opérations policières qui font parfois des incendies de maisons. Le pays est vraiment invivable, à la vérité, il me manque seulement de l’argent pour voyager dans un pays ; car, ici il n’y a pas d’autorité, ce sont les bandits qui dirigent.

Réponse 5 : j’habite à wharf Jérémie, j’habitais très longtemps la zone, je connais presque tous les jeunes garçons qui sont au groupe armé de la zone. Quand il y a d e la guerre, je déserte la zone et quand la paix y rétablit, j’y reviens. Maintenant ça va un peu bien, parce que le chef C qui dirige Delmas 6 demanderait à ses alliés d’observer une trêve, voilà pourquoi nous pouvons vaquer plus ou moins à nos activités sans grande inquiétude.

Réponse 6 : J’habitais à Cité Soleil, maintenant nous nous refugions en Plaine du Cul-de-sac à cause des guerres persistantes entre les groupes armés de la Zone et d’autres groupes venant ailleurs qui veulent diriger la zone. Cette situation est désastreuse, à Cité Soleil nos jours se comptent. Quand on sort on ne s’assure pas vraiment de la rentrée. Ici, la population  ne sait à qui crier et à qui aller puis que l’Etat est totalement démissionnaire. Ce sont les gangs qui dirigent ce pays, ils tuent, volent et pillent en toute quiétude. Imaginez-vous, seulement à Cité Soleil, il existe environ 3 à 4 groupes armés, c’est dur. 

Réponse 7 : j’habitais à Soleil 24, la situation est un peu calme maintenant, mais pendant les mois écoulés, Cité Soleil  n’était pas fréquentable, les groupes armés alliés étaient en guerre contre ceux de Cité Soleil. Comme je devais me rendre à l’Université chaque jour, j’étais obligé de me rendre à Caradeux chez un ami où j’ai passé la semaine. Selon moi l’Etat doit freiner ce désordre, mais hélas, il me semble que l’Etat s’associe avec les gangs pour nous abattre.

Réponse 8 : J’habite wharf Jérémie, j’ai habité la zone depuis 2011, cette zone n’était pas toujours à l’abri de la criminalité, mais toutefois, si on ne se mêlait pas aux affaires des autres, on les dépouillait pas de leurs femmes, on pouvait vivre paisiblement. Mais de nos jours, les choses changent. Les groupes gangs qui partagent une certaine proximité au Centre-Ville s’affrontent constamment. Vous étiez, peut-être, au courant du massacre de la Saline entre des groupes proches du Gouvernement et des groupes qui s’identifient à l’opposition. Les choses sont catastrophiques en Haïti, mais on n’a pas vraiment les moyens pour quitter le pays.  

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Réponse 9 : Moi, j’ai habité la ruelle Sylvia depuis des années et j’y habite encore aujourd’hui. Chez moi, nous sommes plus ou moins en sécurité, mais le grand le souci, c’est quand on veut passer par Carrefour Peant pour se rendre à l’école, on a trois groupes armés à craindre : La Police, le groupe armé de Bel-air et celui de Delmas 6 et alliés, l’un ou l’autre peut vous abattre dans un clin d’œil. Il faut dire que les hommes de bas Delmas sont les partisans du pouvoir et ceux de Bel-air sont de l’opposition.

Réponse 10 : j’habite au Marché  de Carrefour Peant, il n’y a pas vraiment de groupes armés dans notre Zone, mais les bandits de Delmas 6 ne nous laissent pas toujours en paix quand ils sont en guerre avec leurs pairs. Dans les échanges avec la police nous enregistrons certaine fois des pertes en vie humaine. Ce qui nous demande d’adopter un comportement de prudence quotidiennement. Apres quoi nous vaquons librement à nos activités dans la zone. Si vous avez affaire avec quelqu’un vous pouvez être victime, dans le cas contraire, on peut se démêler.

-Analyse de contenu

 

Informations recueillies Contenues des informations Fréquence d’apparition d’une information en valeur absolue Fréquence d’apparition d’une information en valeur relative.

Perception des gens des conflits armés

-Mal à éradiquer, Fléau à combattre, l’épée de Damoclès suspendue sur la vie des populations dans les quartiers. 9 90%
Causes des conflits armés -Extension de territoires,

-Appartenance politique

6 60%
Conséquences sur la vie de la population -Perte en vie humaine

-Appauvrissement

(Chômages, misères)

5 50%
Mode organisationnel des groupes armés. -Hiérarchie

-Alliance

5 50%
Total 10 100

 

 VII-Discussion :

Les informations recueillies nous ont permis de saisir avec évidence et de manière scientifique le phénomène de conflits armés dans les quartiers de Port-au-Prince, ainsi que les causes et les conséquences dudit phénomène. Elles permettent aussi de déterminer avec objectivité les catégories d’acteurs qui y sont impliqués- même si leur degré d’implication ne nous intéresse pas trop dans le cadre de cette Micro-Recherche. Néanmoins, ces informations nous servent de repères d’analyse pour comprendre la notion de conflit armé ainsi que les Responsabilités civiles et pénales des acteurs qui y prennent part au regard du droit international humanitaire.

1– : La notion de Conflit armé : Le droit international humanitaire distingue deux types de conflits armés :

-Conflit armé international : Situation de Guerre qui oppose deux ou plusieurs Etats.

-Conflit armé non international : Conflit armé qui oppose des Forces gouvernementales (La Police/ L’armé) à des groupes armés non gouvernementaux (Forces révolutionnaires/ gangs   armés) ou des groupes armés entre eux. (Art. 3 de la Convention de Genève du 12 Aout 1949 sur le droit des conflits armés). En revanche, il n’existe pas vraiment de différence entre Conflit armé non international et Guerre civile. Le terme Guerre civile est peu juridique, même si son incrimination se trouve dans le code pénal haïtien en son article 68. Il est employé le plus souvent pour désigner un conflit armé non international. (Art. 3 Protocole I aux conventions de Genève 1977). Néanmoins, certaines violences internes sont qualifiées de Troubles civils et non de conflit armé non international.

 En effet, dans le cadre de ce travail, le conflit armé international ne nous intéresse pas trop. Ainsi, l’emphase va être mise sur le conflit armé non international. Dès lors, il s’avère important de passer en revue les caractéristiques d’un conflit armé non international pour pouvoir conclure soit à l’existence des Troubles civils ou des Conflits armés à Port-au-Prince.

1-1 : Caractéristiques du Conflit armé non international : Le droit international humanitaire ou droit des conflits armés reconnait deux critères pour parler de conflit armé non international  (Protocole additionnel aux conventions de Genève du 12 Aout 1949 relatifs à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II, 8 Juin 1977) :

-Un degré  d’organisation : Les groupes armés doivent faire preuve d’un degré d’organisation, c’est-à-dire d’une certaine hiérarchie. Chaque groupe armé doit être dirigé par un chef de troupe qui fait office de commandant du groupe. Ce chef de groupe doit être en mesure de passer des ordres à ses troupes, qu’il soit issu d’une Force gouvernementale ou de gangs armés. Il doit y avoir une chaine de commandement, la capacité de donner et de faire exécuter des ordres, de planifier et de lancer des opérations coordonnées et la capacité de recruter, former et équiper de nouveaux combattants.

-Un certain niveau d’intensité : Le niveau d’intensité de la violence est déterminé à partir d’un ensemble d’indicateurs, tels que :

  1. a) La durée et la gravité des affrontements armés.
  2. b) Le nombre de combattants et de groupes impliqués. 
  3. c) Les types d’armes utilisés. 
  4. d) le nombre de victimes et l’étendue des dommages causés par les combats.

–  Tout compte fait, à bien analyser les deux critères suffisants et nécessaires énumérés par le Protocole II en date du 8 juin 1977   , additionnel aux conventions de Genève en date du 12 Aout 1949, la Société Haïtienne se trouve au cœur des Conflits armés non internationaux, vu que les différents groupes armés à Port-au-Prince ont une organisation hiérarchisée , ils ont un commandant en chef qui a la capacité de planifier, de lancer des opérations, et qui a aussi la capacité de recruter, former et d’équiper de nouveaux combattants. Mais aussi, le deuxième critère est tout à fait vérifié dans la mesure où il existe environ 162 groupes armés avec un effectif d’environ 3000 Soldats qui sont munis d’armes de guerre, selon les informations de SNDDR. (La Réf. est précédemment donnée). Il faut ajouter à cela que cette situation de Guerre chaude entre les différents groupes armés de la Capitale dure déjà plus d’une année et les dégâts sont incalculables.

Apres avoir démontré à la lumière des faits et du droit que les conflits sanglants dans lesquels se trouve en Haïti, ne sont pas des Troubles civils, mais des Conflits armés non internationaux, il revient maintenant de déterminer les acteurs qui ont participé de manière directe ou indirecte à ces troubles.

2- : Les acteurs responsables des Conflits armés à Port-au-Prince

Les participants aux Conflits armés à Port-au-Prince sont de deux sortes :

– Les participants directs qui sont les auteurs visibles qui revendiquent les violences armées ainsi que leurs corollaires. 

-Les Participants indirects qui sont des Complices par aides, moyens ou assistance. Sans faire table rase des notions de co-auteurs, d’auteurs intellectuels.

-A ces deux catégories d’acteurs, il faut ajouter une troisième qui est l’Etat, il est débiteur d’obligations positives et négatives en matière de respect des droits humains. Etant passif ou impuissant pour empêcher de telles violences armées, sa responsabilité civile pourrait être  engagée.

En effet, les conflits armés, une fois prouvés  et les acteurs, déterminés, il nous reste à étayer leurs responsabilités civiles et pénales au regard du droit international humanitaire.

2-1 : Responsabilités pénales et civiles des acteurs impliqués.

La Sanction, dans ses fonctions d’expiation et d’intimidation, veut que celui qui commet une infraction soit condamné à une peine à titre de rétribution  de ce qu’il a fait ( Victor HUGO, Les derniers jours d’un condamné), mais aussi cette condamnation servira d’intimidation et de découragement aux éventuels délinquants, ainsi, Michel  de Montaigne disait dans cet optique « On ne corrige pas celui qu’on pend, mais on corrige les autres par lui. »  En effet, les auteurs de ces crimes odieux ont des responsabilités pénales et peuvent encourir des peines qui peuvent aller au-delà de celles prévues par le Code pénal haïtien en son article 68 et suivants (détention criminelle allant de 5-20 ans de prison), puisque les violences armées enregistrées à Port-au-Prince ont toutes les caractéristiques des conflits armés non internationaux et ne peuvent être considérés comme de simples Troubles Civils, ils sont, en conséquence, régis par les mêmes règles qui gouvernent les conflits armés internationaux. En revanche, les acteurs devraient se conformer à l’article 3 de la Convention de Genève du 12 juin 1949 sur le droit des conflits armés. Par contre, étant  déclarés révolutionnaires ou opposants du Gouvernement, les groupes armés ne devraient pas attaquer la population civile soit par des massacres, des enlèvements suivis de séquestrations contre rançons, des viols et des cas de pillages et de tortures. Ils devraient laisser un couloir humanitaire pour les femmes enceintes, les malades et les accidentés. N’ayant pas respectés ces principes, ils sont coupables de crimes de Guerres et crimes contre l’humanité :

-Le crime de Guerre a été défini pour la première fois en 1945 par le tribunal de Nuremberg chargé de juger les criminels nazis comme étant des attaques délibérées contre des civils non armés, la torture, le meurtre, l’assassinat ou les mauvais traitements.

-Les crimes contre l’humanité sont des infractions spécifiques commises dans le cadre d’une attaque de grande ampleur visant des civils, quelle que soit leur nationalité. Ils comprennent le meurtre, la torture, les violences sexuelles, l’esclavage, la persécution, les disparitions forcées.

La différence qu’il y a entre ces deux catégories d’infraction, c’est que pour les crimes de guerre, on met l’emphase sur les circonstances (guerre) et les victimes (civils non armés)

Or, pour les crimes contre l’humanité, on met en évidence le caractère systématique et planifié du crime. 

3-Applicabilité des instruments internationaux sur les conflits armés en Haïti : Haïti a signé le Statut de Rome le 26 Février 1999 et a ratifié la Charte de Nuremberg le 3 Novembre 1945 sur la répression pénale pour crime contre l’humanité et crime de guerre. Elle a ratifié la convention de Genève de 1949 sur les conflits armés le 11 Avril 1957 et les deux protocoles additionnels le 20 décembre 2006. Elle a aussi ratifié environ une dizaine de conventions sur les méthodes et les moyens de la guerre. Ces conventions signées et ratifiées par Haïti font partie intégrante de sa législation interne et sont d’application sur toute l’étendue du territoire national (art. 276-2 const.). 

3-1-Les tribunaux compétents : Contrairement au principe de la territorialité qui régit le droit pénal, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité, vu leur caractère international, sont gouvernés par le principe de l’universalité. Ainsi, plusieurs tribunaux sont compétents pour juger les auteurs des différents  crimes perpétrés sur la population civile non armée lors des différentes guerres engagées entre les gangs armés, et, entre  la police et les gangs armés :

-Les Tribunaux pénaux nationaux : le tribunal de première instance est compétent en ses attributions criminelles (Cour d’assise) pour juger les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par des Haïtiens et étrangers en Haïti. 

-Tribunaux pénaux internationaux : La Cour pénale internationale pourrait être compétent, toutefois, il y a lieu de débats, vu qu’Haïti a seulement signé et n’a pas encore ratifié le traité de Rome créant la CPI en 1998. En revanche, le Conseil de sécurité de l’ONU pourrait toujours créer un tribunal international spécial pour juger les criminels qui ont commis des atrocités durant la période de conflits armés non internationaux en Haïti, comme on l’a déjà fait pour l’ex-Yougoslavie en 1993 et le Rwanda en 1994.

-Tribunaux pénaux internationaux mixtes : des tribunaux dits mixtes pourraient aussi être constitués, au sein desquels des juges internationaux et nationaux peuvent travailler en collaboration en vue de faire jaillir la lumière sur les crimes commis par les gangs armés à Port-au-Prince, comme c’était le cas pour la Sierra Leone en 2002, le Liban en 2009, la République démocratique du Congo en 2002

VIII-Conclusion

Tout compte fait, cette Micro-Recherche nous permet de confirmer scientifiquement l’existence des conflits armés dans bon nombre de quartiers populaires à Port-au-Prince, de comprendre l’évolution du phénomène dans les zones dites de non-droit et de dégager le mode opératoire des gangs armés ainsi que les causes et les conséquences de ces violences dans la Capitale. Elle nous permet, en outre, de saisir avec plus ou moins de perspicacité et de clairvoyance la perception que les gens des quartiers en proie à la guerre font de ce phénomène qui élit domicile depuis tantôt deux ans dans la principale ville du Pays. En effet, cette situation de violences qui bat son plein à Port-au-Prince, dépasse à grande échelle un simple trouble civil pour se hisser au rang de conflits armés non internationaux. Dès lors, cette qualification tombe automatiquement dans le champ du droit international humanitaire, branche du droit qui fixe les obligations et les responsabilités des acteurs dans le déroulement des conflits armés internationaux et non internationaux. Au fait, les auteurs et complices de ces différentes violences armées ont flagramment violé l’article 3 de la Convention de Genève du 12 Juin 1949 sur les conflits armés. Ils ont systématiquement assassiné, torturé et massacré la population civile, ils n’ont laissé aucun couloir humanitaire pour les malades et les femmes enceintes. Les ambulanciers sont attaqués en pleine rue comme dans les centres hospitaliers sans le moindre respect pour le signe distinctif de la Croix-Rouge. De tels comportements frisent la barbarie et révoltent la conscience humaine. Heureusement, Haïti a signé et ratifié les différents instruments internationaux sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En conséquence, les acteurs qui ont participé directement ou indirectement à la perpétration de ces crimes odieux seront jugés pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Et, vu l’imprescriptibilité de ces infractions, ils pourront être poursuivis et jugés même à l’âge de vieillesse. Enfin, l’article 1168 et suivant du code civil autorisent le dédommagement de ces victimes non seulement par les auteurs directes des infractions, mais aussi par l’Etat, le principal garant des droits fondamentaux.

IX-Bibliographie :

ALBERICO, Gentili. Droit de la Guerre. Collection classique du droit international, deuxième Edition, 2006.]

BRAUMAN, Rony, Le Crime humanitaire, Somalie, Aléa, 1993

BUIRETTE, Patricia, Le droit international humanitaire, Editions La Découverte, Paris, 1996.

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DORAY, Bernard, L’humanitaire ou le Cannibalisme guerrier à l’ère néolibérale, la Dispute, 2000

FOUCAULT, Michel, Surveiller et punir, Gallimard, 1995

LOUKAS, Michel. Droit international humanitaire. Bureau du procureur général : bureau de documentation et de droit comparé,  2009  

RUFFIN, Jean-Christophe, l’Empire et les nouveaux barbares, Lattes-pluriel, 1991

RUFFIN, Jean-Christophe, L’Aventure humanitaire, Gallimard, 1995

SIMEANT, Dauvin, l’humanitaire en discours, ENS, Editions no 65 2000