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La saisie pénale au regard de la loi du 11 novembre 2013 sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

Introduction

 

Le droit pénal reste et demeure le droit de la répression des comportements sociaux néfastes sur la société. Droit des sanctions, il met sans cesse en question la liberté des personnes. Ce droit d’État, à l’heure des transformations rapides du mécanisme de commission des infractions, se permet même au droit de propriété, premier des droits de l’homme. À cet égard, il donne des pouvoirs pleins et entiers à la justice pour déposséder les auteurs d’infractions de biens de leur patrimoine. Déposséder dès le stade de l’enquête les auteurs d’infractions d’éléments de leur patrimoine, tel est la vertu de la loi du 11 novembre 2013 sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Singulièrement, cette loi se veut de créer une véritable saisie pénale, distincte des saisies civiles. Pourquoi, nous souhaiterions apporter un éclairage pour les étudiants en Droit, nombreux à travers le pays et pour les citoyens intéressés à la : « res publica » sur la saisie pénale, telle que ladite loi la prescrite. Naturellement, les uns et les autres peuvent avoir la prétention que ces types de saisies, tout en étant l’œuvre du juge pénal, sont celles des juges de l’instruction de la cause. Cependant, par effet d’efficacité voire d’efficience peut-être, le législateur a innové en dotant le juge d’instruction des pouvoirs légaux et légitimes d’ordonner ces sortes de mesures qui affectent le droit de propriété. C’est donc cet aspect qui sera pris en compte dans le présent travail. Et, pour mieux comprendre la lettre de la loi, nous avons posé la question suivante : « Le juge d’instruction peut-il ordonner la saisie de biens d’autrui opérant illico un transfert de propriété ? » Nous mettons à profit dans les lignes qui suivent la lettre de la loi. 

 

I.- le règlement apporté par la loi du 11 novembre 2013

 

La loi du 11 novembre 2013 veut renforcer la capacité de la justice dans la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. « La présente loi porte sur la prévention et la répression du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme. Elle établit l’ensemble des mesures visant à détecter et à décourager le blanchiment de capitaux et le financement des activités terroristes, et à faciliter les enquêtes et poursuites relatives aux infractions de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme ».  Il s’agit de doter les institutions de la répression et de l’enquête de pouvoirs étendus en vue d’une meilleure efficacité de la justice et de mettre à la disposition du juge d’instruction qui mène l’information judiciaire, de larges facilités en matière de saisie de biens. Et, à bien analyser, ces saisies changent de nature, en ce sens qu’elles ne servent plus à la manifestation de la vérité, mais comme une véritable sanction avant jugement. Car, en ayant le pouvoir de porter atteinte au sacro-saint droit de propriété, le juge des vérités indicielles devient juge du définitif. Si tel n’est pas le cas, la loi porte un sérieux coup au principe de la présomption d’innocence et de celui de l’instruction à charge et à décharge.

 

II.- L’enquête de flagrance au regard de la loi du 11 novembre 2013

 

L’ouverture de l’enquête de flagrance signifie qu’une infraction de nature criminelle vient d’être commise. En clair, les faits obligeant l’ouverture de l’enquête doivent être de nature à entrainer une peine afflictive et infamante. Car le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre est un flagrant délit.

Seront aussi réputé flagrant délit : le cas où le prévenu est poursuivi par la clameur publique, et celui où le prévenu est trouvé saisi d’effets, d’armes, instruments ou papiers faisant présumer qu’il est auteur ou complice, pourvu que ce soit dans un temps voisin du délit.

L’analyse des dispositions de l’article ci-dessus évoqué ramène à trois choses, l’obligation de l’ouverture de l’enquête de flagrance : l’infraction née et actuelle susceptible de conduire à une peine afflictive et infamante, rapportée dans un délai de 48 heures. Ce délai n’est pas défini par la loi pénale. Mais les dispositions de la constitution exigeant de conduire devant son juge tout individu retenu par la police dans un délai de 48 heures semblent donner un fondement irréversible au délai de flagrance.

L’auteur de l’infraction est poursuivi par la clameur publique. Les témoins des faits et la communauté pourchassent leur auteur en le dénonçant devant les autorités ou devant la conscience sociale. Ce cri judiciaire de la population écœurée a pour vertu de poursuivre les auteurs d’infraction en flagrance, de forcer les autorités légitimes à agir et d’imposer le jugement des criminels. Ce cri judiciaire est un lynchage médiatique du criminel et exprime l’idée que, par la mobilisation collective au nom des valeurs communautaires, les peuples refusent d’abandonner le monopole de la violence licite face à la flagrance.

Les auteurs d’infraction sont, dans un temps frais relativement à la commission des faits, retrouvés en possession d’effets, armes, munitions, instruments ou papiers en lien avec l’infraction criminelle qui vient d’être consommée.

Hormis ces situations, il n’y a pas lieu à l'enquête de flagrance qui, en conformité des dispositions du code d’instruction criminelle, donne de larges pouvoirs aux autorités de la poursuite et de l’enquête. 

Les dispositions du code d’instruction criminelle relatives à l’enquête de flagrance sont maintenues en matière de blanchiment des capitaux et du financement du terrorisme. Car « les institutions financières et les entreprises et professions non financières peuvent également signaler à l’UCREF, par voie de communication électronique, par télécopie ou, à défaut, par tout moyen écrit, une opération en cours d’exécution ayant des indices sérieux de blanchiment. En raison de la gravité ou de l’urgence de l’affaire, l’UCREF peut faire opposition à l’exécution de l’opération pour une durée n’excédant pas quarante-huit (48) heures. 

À l’expiration de ce délai, l’UCREF peut ordonner le gel de l’opération, des comptes, titres ou fonds pour une durée supplémentaire de dix (10) jours. 

L’UCREF est tenue d’ordonner la levée de cette mesure en notifiant par écrit l’institution concernée, au cas où elle n’aurait pas relevé d’indices sérieux ».

Les opérations en cours d’exécution soupçonnée d’indices sérieux de blanchiment doivent être rapportées illico à l’UCREF par les institutions financières et les entreprises et professions non financières. Ces dernières institutions, dans le cadre strict, ont un double statut : celui de témoins de crimes et d’agents de police judiciaire à la disposition de l’UCREF qui, au constat de la pertinence des indices, transmet un rapport sur les faits, accompagné de son avis, au commissaire du gouvernement pour les suites nécessaires.

L’agent des douanes agit aussi comme agent de police judiciaire en conformité à des dispositions des articles 8 et 10 du code d’instruction criminelle. Le code douanier, dans les dispositions des articles 48, 62, 63, 67, 306 et 308, donne aussi les pleins pouvoirs aux agents douaniers pour intervenir dans l’enquête de flagrance en ce qui a rapport avec la douane. La loi du 11 novembre 2013, dans les dispositions de son article 51, désigne les agents douaniers comme des agents de police judiciaire. « Pour la recherche et la constatation de l’infraction de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et conformément aux missions qui leur sont assignées dans leur zone d’action en vue de prévenir et de lutter contre les trafics illicites, les agents des douanes peuvent procéder à l’immobilisation et à la perquisition des moyens de transport, à la visite et à la retenue des personnes ».

 

III.- L’organisation de la saisie des biens par la loi du 11 novembre 2013

 

Les juges d’instruction disposent des pouvoirs nécessaires pour prendre toute mesure jugée utile de gel et de saisie des biens, lors de la conduite d’une information relative au blanchiment des capitaux et financement du terrorisme. Les biens saisis doivent être l’instrument ou le produit direct ou indirect de crime. La saisie est intervenue ici comme une mesure conservatoire anticipant sur la condamnation à venir de l’inculpé. « Le juge d’instruction territorialement compétent peut appliquer des mesures conservatoires sur des fonds et des biens en relation avec l’infraction ou les infractions objet de l’instruction. Ces mesures conservatoires sont autorisées en vue de préserver la disponibilité desdits fonds, biens et instruments susceptibles de faire l’objet d’une confiscation ». 

La loi fait de cette mesure une ordonnance administrative du juge d’instruction, c’est-à-dire non sujette à recours. « La mainlevée de ces mesures peut être ordonnée à tout moment à la demande du Ministère public, à la demande de l’administration compétente ou du propriétaire des fonds ou des biens ».Seule l’autorité de la saisie peut donner mainlevée de cette mesure. Cela va de soi, mais il est désagréable que l’autorité de la violation d’un droit soit elle-même l’autorité du rétablissement de ce droit. 

Les dispositions de l’article 46 créent une anomalie. En effet, si elles accordent au juge d’instruction le pouvoir d’ordonner des mesures conservatoires sur les fonds et biens en lien avec les infractions, elles n’énumèrent pas les cas dans lesquels ces mesures seront ordonnées puisqu’il s’agit de saisies hors les cas de flagrance. Il s’en suit une porte large ouverte sur la manipulation et l’arbitraire.

En tout état de cause, le juge de l’ordonnance de la saisie en conformité de l’article 46 de la loi sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme a sa disposition un ensemble de dépositions et de pièces à conviction lui faisant présumer que les biens objets de saisie ont un lien direct ou indirect avec les faits de la cause. Car, le juge d’instruction ne peut, de façon vague et désobligeante, ordonner de telle saisie sans que sa conviction ne soit faite, puisqu’il instruit à charge et à décharge.

Toutefois, il est utile de préciser que le juge d’instruction peut ordonner de saisir les biens mêmes des personnes qui ne sont pas concernées par le réquisitoire du commissaire du gouvernement ; il lui suffit de se rendre compte que les biens saisis ont un rapport direct ou indirect avec les faits. Importent peu les mains dans lesquelles ils se trouvent.

 

IV.- La saisie et le respect des droits des tiers

 

L’une des grandes vertus de la loi pénale est qu’en s’appliquant, elle ne doit toucher que les auteurs et complices du crime. Alors, le juge est constamment dans l’obligation de veiller à ne pas nuire aux intérêts légitimes des tiers, étrangers au dossier. Les parties et le commissaire du gouvernement sont tenus sous peine d’outrage à magistrat de fragiliser l’œuvre de justice par des demandes intempestives réitérées non fondées en fait et en droit. Personne ne doit en science et conscience tromper la vigilance du magistrat. 

La saisie pénale de biens immobiliers, création spéciale de la loi sur le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, est lacunaire relativement au droit de propriété des tiers sur les biens saisis sans que ces derniers aient été mis en cause.

Le législateur a, dans ce domaine, créé un monstre pour porter l’arbitraire à son paroxysme. Même si le propriétaire des biens peut toujours demander la mainlevée de la saisie, les torts résultant de l’exécution de l’ordonnance ne pourront jamais être réparés. Car le commissaire du gouvernement, exécuteur des décisions du cabinet d’instruction, n’a aucune responsabilité personnelle dans le fait d’exécuter une décision de justice contre laquelle il n’a d’ailleurs aucun reproche. Et la loi n’accorde toujours pas aux citoyens souffrant de telles bavures d’ester contre l’État.

Comme le juge peut saisir les biens en lien avec l’infraction en quelques mains qu’ils se trouvent, quoi faire avec l’acquéreur du bien saisi dans les formes et conditions de la loi lorsque la saisie est postérieure à l’acquisition ? Quoi faire également avec les créanciers titulaires de suretés ? Quoi faire enfin avec les détenteurs de privilèges et d’hypothèques sur les biens objet de la saisie ? Quoi faire également avec le conjoint ou la conjointe copropriétaire?

Le législateur, en réglant un problème, crée plein d’autres. Tel n’est pas la vocation de la loi. Pourquoi, il faut harmoniser la plupart des dispositions de la loi du 11 novembre 2013 avec les intérêts légitimes de tiers de bonne foi.

 

Conclusions

La saisie de biens immobiliers ordonnée par le juge d’instruction n’a pas de vertu probatoire. Elle a une vocation patrimoniale visant à garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation en cas de condamnation des individus. Cela se comprend aisément ; car la plupart des criminels objets de poursuite pénale organisent leur insolvabilité durant le temps de l’enquête. En clair, la saisie de biens immobiliers ne doit pas être l’occasion d’un scandale, puisque réalisée dans le cadre de la loi. Ce type de saisie est rendue de plus en plus nécessaire dans un souci de protection des intérêts de l’État. C’est bien ce que prescrivent les articles 64, 65 et 66 de la loi du 11 novembre 2013. « En cas de condamnation ayant acquis force de chose jugée pour infraction de blanchiment de capitaux ou pour infraction de financement du terrorisme ou pour une tentative de commission d’une de ces infractions, le tribunal compétent ordonne la confiscation : a) des biens objets de l’infraction, y compris les revenus et autres avantages qui en sont tirés, à quelque personne qu’ils appartiennent, à moins que leur propriétaire n’établisse qu’il les a acquis en versant effectivement le juste prix ou en échange de prestations correspondant à leur valeur ou à tout autre titre licite, et qu’il ignorait l’origine illicite ; b) des biens appartenant, directement ou indirectement, à une personne condamnée pour fait de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme, à moins que les intéressés n’en établissent l’origine licite. En outre, en cas d’infraction constatée par le Tribunal, lorsqu’une condamnation ne peut être prononcée contre son ou ses auteurs, ledit Tribunal peut ordonner la confiscation des biens sur lesquels l’infraction a porté. Peut également être prononcée la confiscation des biens du condamné à hauteur de 24 << LE MONITEUR >> No. 212 - jeudi 14 novembre 2013 l’enrichissement par lui réalisé depuis la date du plus ancien des faits justifiant sa condamnation, à moins que les intéressés n’en établissent l’origine licite. Peut, en outre, être prononcée la confiscation des biens, en quelque lieu qu’ils se trouvent, entrés, directement ou indirectement, dans le patrimoine du condamné depuis la date du plus ancien des faits justifiant sa condamnation, à moins que les intéressés n’en établissent l’origine licite. La décision ordonnant une confiscation désigne les biens concernés et les précisions nécessaires à leur identification et localisation. Lorsque les biens à confisquer ne peuvent être représentés, la confiscation peut être ordonnée en valeur ». « Lorsque les faits ne peuvent donner lieu à poursuite, le ministère public peut demander au Doyen du Tribunal de Première Instance ou tout juge par lui désigné que soit ordonnée la confiscation des biens saisis. Le juge saisi de la demande peut rendre une ordonnance de confiscation : a) si la preuve est donnée que lesdits biens constituent les produits d’une activité criminelle ou d’une infraction au sens de la présente loi ; b) si les auteurs des faits ayant généré les produits ne peuvent être poursuivis soit parce qu’ils sont inconnus, soit parce qu’il existe une impossibilité légale aux poursuites du chef de ces faits ou que les propriétaires ne peuvent pas justifier la provenance desdits biens ». « Doivent être confisqués les biens sur lesquels une organisation criminelle ou une organisation terroriste exerce un pouvoir de disposition lorsque ces biens ont un lien avec l’infraction à moins que leur origine licite, lorsqu’il s’agit d’infraction de blanchiment, ou leur destination licite, lorsqu’il s’agit de financement de terrorisme, soit établie ». Toutefois, l’action du juge d’instruction se limite au financement du terrorisme et au blanchiment des capitaux. Quant à ce dernier crime, il désigne : la conversion ou le transfert de biens qui sont le produit d’une activité criminelle, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens, ou d’aider toute personne impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ; la dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réelle de biens ou des droits qui sont le produit d’une activité criminelle ; l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens par toute personne qui sait que ces biens sont le produit d’une activité criminelle. Utile de constater que la loi du 11 novembre 2013 met en veilleuse la présomption d’innocence. Belle innovation. Mais attention aux possibilités de perversion qu’elle porte. La présomption de culpabilité due mise en cause et de ses ayants cause est désormais de rigueur. Car il appartient aux victimes potentielles de ces ordonnances de saisies de faire la preuve de l’origine licite de leurs droits et prétentions.

Me Jean Frédérick Beneche