Home Éditorial Les Archives Nationales d’Haïti – ANH et ses 160 ans d’existence : quels bilans...

Les Archives Nationales d’Haïti – ANH et ses 160 ans d’existence : quels bilans et quelles perspectives ?

Par : Bendy HILAIRE
Licencié en Administration Publique
Directeur Exécutif du Salon des Administrateurs Haïtiens
Coordonnateur Général de l’Organisation Les Amis d’Haïti

Grâce aux archives soigneusement conservées, nous avons pu retracer la généalogie de l’Institution des Archives à travers le monde. En effet, les bases fondamentales de l’Institution des Archives ont été concrètement posées en France en 1790 avec la révolution française. Cependant, si on considère les objets et documents historiques qui, eux aussi font partie du patrimoine archivistique mondial, nous devons plutôt étendre la généalogie des archives jusqu'à l’Antiquité, plus précisément avec l’invention de l’écriture entre 3000 à 3500 ans av. J-C. Car, la Grèce antique et l’Empire Romain avaient leurs dépôts d’archives qui constituent aujourd’hui, le poumon de l’histoire socio-politico-juridique et culturelle de l’Europe. De notre côté, en Haïti, selon Jean Yves JASON dans une étude publiée en 1996, intitulée : « Le présent des choses passées ou les Archives Nationales d’Haïti : faits et perspectives », il a fallu attendre 1860, période de la pleine révolution des archives dans le monde, particulièrement en France, pour sauver les reliques de l’histoire nationale d’Haïti et grâce à une intervention du Secrétaire d’Etat de l’Intérieur et de l’Agriculture d’alors, Monsieur François Jean-Joseph, le Gouvernement de Geffrard, en date du 20 Août 1860, a pris un Arrêté présidentiel pour mettre debout une institution chargée de gérer l’ensemble des archives du pays.

En effet, depuis les premières années de la création des Archives Nationales d’Haïti, dénommées à l’époque « Archives de l’Etat », selon les littératures disponibles, nous pouvons affirmer qu’elles n’ont pas été au centre des priorités de l’Etat, parce que le gouvernement d’alors se trouvait dans l’obligation de concentrer tous leurs efforts à combattre les insurrections qui se multipliaient un peu partout à travers le pays. De plus, certains des membres du gouvernement d’alors, pataugeaient dans la corruption. Donc, considérant la mission principale d’une telle institution, qui, consiste à sauvegarder tous les documents produits par l’Etat haïtien y compris ceux relatifs aux finances, on pourrait facilement découvrir leurs fraudes et leurs actes de corruption. En ce sens, ils ont profité de la faiblesse du gouvernement de Geffrard et des instabilités politiques, pour handicaper cette institution naissante. C’est pour vous dire que, ce désintéressement excessif et accéléré du pouvoir central à l’égard de la mémoire nationale ne date pas d’hier et poursuit son chemin jusqu'à nos jours. C’est-à-dire, cette noble institution qui représente la fierté nationale, la défenseure de nos valeureux héros, notre prestigieuse et glorieuse histoire, auxquelles nous devons ajouter notre riche patrimoine culturel et littéraire, continue d’être méprisée par les autorités au plus haut niveau de l’Etat Central et traitée en parent pauvre à la fois sur le plan politique, culturel, structurel, administratif et budgétaire.

Nous devons souligner à votre attention que, les Institutions d’Archives à travers le monde sont en pleine expansion et s’inscrivent dans un processus de modernisation continue. La technologie est devenue un outil incontournable dans la gestion des archives, elle est utilisée à la fois pour innover et faire émerger les Institutions d’Archives. Par ces constats, nous devons admettre que les dirigeants des pays développés ont compris l’importance et la dimension d’une telle institution dans le développement d’une société. C’est pourquoi, nous sommes d’accord avec Benjamin Walter lorsqu’il précise : « Il est impossible de saisir une réalité dans son intégralité sans se référer à son passé, parce que l’histoire est la continuité de la discontinuité ». C’est pour vous dire, qu’il n’y a pas de société sans archives, sans histoire et sans mémoire. De nos jours, on parle de centre d’archives numériques, de données et de métadonnées, alors qu’en Haïti, nos dirigeants tardent encore dans un traditionalisme poussé, traduit par leur manque de compétence, d’éthique et d’élégance, de clairvoyance et surtout, par leur comportement d’ignorant « Gwo somodo ».

En effet, la première pierre pour la construction de la « Cité des Archives » aurait dû être posée depuis 2010, lors de la célébration du 150e anniversaire de ladite institution. Malheureusement, une décennie après, nous attendons encore et encore cette pose de première pierre qui n’arriverait probablement jamais. Car, selon des rapports produits par la CSC/CA, nos dirigeants ne s’intéressent pas à des projets qui visent à protéger les intérêts supérieurs de la nation, comme la sauvegarde de notre mémoire nationale et notre patrimoine culturel et littéraire. Mais, ils s’intéressent de préférence à des projets fictifs, non viables, entachés d’irrégularité et de corruption.

Il est plus qu’une évidence que nous ne pouvons parler de modernisation des archives en Haïti. Car, pour moderniser il faut un esprit de créativité et d’innovation, il faut un minimum de volonté et de pouvoir. En ce sens, nous pouvons conclure que les autorités haïtiennes ne manifestent aucune volonté de moderniser les Archives Nationales d’Haïti parce que, la loi organique de cette institution remonte à 1984 et ceci malgré les efforts des autorités immédiates pour la doter d’une nouvelle loi organique. Ce projet de loi, élaboré par la Direction Générale des ANH et soumis depuis 2012 au Ministère de la Culture pour les suites nécessaires, se trouve bloquer pour des raisons internes. Il faut préciser que, l’absence de cette loi organique qui n’a pas encore été validée par le Ministère de la Culture et votée par le parlement haïtien, crée d’une part, un obstacle majeur à la modernisation des Archives Nationales d’Haïti et d’autre part, des problèmes d’ordre administratifs, structurels et techniques, traduits par l’absence d’une véritable Direction des Ressources Humaines et d’une Direction Technique opérationnelle, renforcée et dynamisée. C’est-à-dire, l’Etat Central accorde peu d’importance et de moyens en termes de ressources humaines et matérielles, de structures et d’allocation budgétaire à la seule institution légale chargée de relier notre passée à notre présent afin de mieux définir notre futur. Tout ceci exprime un manque d’intérêt des pouvoir publics pour la mémoire nationale et une carence avérée de vision et de politiques publiques liées à la gestion et la protection des archives documentaires du pays. Par rapport à ce tableau sombre sur lequel se peint la réalité et la problématique liée aux archives en Haïti, nous devons nous questionner sur le bilan et les perspectives des Archives Nationales d’Haïti. Quel bilan après 160 ans d’existence ? Quelle voie empruntée, si on souhaite se démarquer du traditionalisme et emboiter le pas vers la modernisation ?

En termes de bilan, par rapport à la mission constitutionnelle confiée à cette institution, en considérant la non-implication de l’ensemble des secteurs de la vie nationale, notamment les pouvoirs exécutif et législatif y compris l’institution en question, nous devons dire que le bilan des Archives Nationales d’Haïti – ANH de 1860 à nos jours est triste, lamentable et catastrophique comme pour la plupart des institutions publiques en Haïti. En effet, selon une analyse approfondie que nous avions produite dans notre thèse de mémoire, soutenue le 25 juin 2020 en vue de l’obtention du grade de licencié en Administration Publique à l’INAGHEI/UEH, autour de la chronologie relative à l’Institution des Archives Nationales d’Haïti et ses différentes réalisations, le maigre bilan de cette dernière est caractérisé par : son admission et/ou son intégration au sein de quelques institutions ou organisations internationales des Archives ; quelques expositions de documents historiques ; quelques projets réalisés, des tentatives visant à renforcer les ressources humaines et matérielles de ladite institution tout en initiant son processus de modernisation par l’actuel Directeur General, Jean Wilfrid BERTRAND ; quelques tentatives visant à résoudre le problème de l’état civil en Haïti ; de 1972 à nos jours nous avons assisté à une défilée de missions de l’OEA, l’UNESCO, etc. pour tenter de résoudre les problèmes de Gestion des Archives en Haïti. Malgré ces multiples missions et la présence de nombreux experts, aucune innovation significative n’a été constatée dans la gestion des archives et les Bureaux d’Etat Civil en Haïti. Donc, par rapport aux autres Institutions d’Archives, comme celle de France, nous devons admettre que Les Archives Nationales d’Haïti se trouvent à plus d’un siècle de retard. Nonobstant ce maigre bilan, nous devons admettre que les actuels dirigeants de cette institution font des efforts assez considérables pour maintenir cette institution en vie. En conséquence, ils ont des projets très ambitieux qui pourraient, si et seulement si l’Etat Central avait une vision éclairée de la mémoire nationale, faire accélérer le processus de modernisation des ANH. D’où, la nécessité de présenter en quelques lignes les perspectives de cette institution.

En termes de perspectives, si les dirigeants des ANH tiennent compte des recommandations faites dans notre thèse de mémoire précitée, nous pouvons espérer avoir une Institution d’Archives dynamique et déconcentrée en Bureau Communale, Bureau départementale et une Direction Générale. Cette déconcentration préconisée permettrait à ladite institution d’être plus proche de nos concitoyens tout en développant une culture de service et d’harmonisation entre agents publics et la population. Cette stratégie devrait contribuer à résoudre le problème de réception et de livraison des extraits d’archives. Ce document suggère également, la création et/ou la structuration d’une/de la direction ou d’un/du service des archives au sein de chaque institution publique et privée du pays, afin de collecter à la source tous les documents produits par nos institutions à des fins de conservation, d’authentification et d’alimentation du patrimoine documentaire haïtien et des bibliothèques virtuelles ou physiques des ANH. Selon les propos du Directeur Général, il souhaiterait démarrer le plus vite possible la construction de la « Cité des Archives » qui, sera un espace approprié et adapté au normes internationales de gestion des archives modernes, afin de reloger ladite institution. De plus, il souhaiterait utiliser la haute technologie comme outil stratégique, afin de mieux répondre à leur mission régalienne et combler les attentes, combien nombreuses, des contribuables.

Comme disait le Sociologue Pierre Gourgand, « l’intention sans la pratique est illusoire et la pratique sans l’intention est manipulatoire », les dirigeants des ANH doivent continuer à manifester cet enthousiasme de changer, d’innover et de moderniser cette institution. Mais, l’Etat Central de son côté, doit d’une part, redéfinir les valeurs socioculturelles et historiques, les missions et les fonctions de cette institution aux yeux de la société haïtienne, mettre en lumière un ensemble de pratiques administratives conforme aux lois haïtiennes et les prescrits de l’Office de Management et des Ressources Humaines – OMRH qui, font la promotion de la mobilité, l’équité, la dynamicité et la valorisation des ressources humaines au sein des institution étatiques et d’autre part, donner les moyens adéquats à la Direction Générale des Archives Nationales afin qu’elle puisse mieux organiser et gérer ses ressources disponibles, de procéder à la construction de la « cité des Archives », la déconcentration et la représentation de cette institution dans chaque commune et département du pays en partenariat avec les autorités locales, l’installation de guichets électroniques à travers les dix (10) départements du pays, la création ou la structuration d’un service en ligne permettant aux usagers de : faire des demandes d’extraits, consulter des documents disponibles et explorer les œuvres et documents historiques pour ne citer que ceux-là. Par ces éléments de restructuration, nous pouvons espérer une Institution d’Archives à la hauteur de ses valeurs et missions constitutionnelles, socioculturelles et historiques.

N.B.- Pour éviter toute mésinterprétation, quand on écrit Archives avec un A majuscule, on fait allusion à l’Institution qui gère les archives. Tandis que quand on écrit archives avec un a minuscule, on fait allusion aux documents soigneusement conservés.