Pour comprendre les enjeux relatifs à la détention des femmes en Haïti plus particulièrement la détention préventive et prolongée, il s’avère important de faire un survol historique du mouvement féministe Haïtien. Ainsi, la période allant de la révolution française de 1789 et celle menant jusqu’à la création de l’Etat Haïtien sont considérées comme deux périodes fondamentales . Cette longue période représente une plaque tournante dans l’évolution des droits humains, plus particulièrement les droits des femmes dans le monde. À maintes reprises on tend à approprier le féminisme Haïtien simplement au mouvement féministe du pouvoir (l’égalité dans les distributions des emplois, pouvoirs, salaires…), chose qui ne devrait pas se faire. Il faut voir le féminisme comme un combat dans la lutte des questions clés et nécessaires des Droits de l’homme, une dimension de lutte pour la liberté. Et c’est à la bataille de Vertières, le 18 novembre 1803, que ce féminisme s’est exprimé pour la première fois. Sonet Saint Louis, «Le féminisme haïtien a pris naissance à Vertières», le Nouvelliste , Publié le 2021-03-11.
Cette bataille pour les femmes de cette époque a été un symbole de résistance contre la tyrannie, l’oppression, le contrôle des naissances, du corps des femmes, l’emprisonnement abusif qu’elles ont tant subies pendant plus de deux siècles. Le Professeur Wesner Emmanuel cite à titre d’exemple de cette résistance, une jeune esclave de l’époque coloniale qui est saluée en ce sens pour avoir eu le courage de porter plainte contre un colon qu’elle soupçonnait d’être l’auteur des coups graves infligés à son mari. «Cours D’histoire D’Haïti Pour La Classe De Philo – Wesner Emmanuel»,. D’autres exemples comme Catherine Flon, la couturière ayant cousu le bicolore national, Défilé la dame qui avait pris le corps de l’empereur Jean Jacques Dessalines pour le déposer au pont rouge et aussi Claire Heureuse la vaillante âme sœur de Dessalines peuvent aussi être cités.
En dépit de tous ces efforts qui ont été consentis par les femmes et filles lors de la révolution haïtienne, après l’Indépendance, elles ont été complètement mises à part. Ce n’est que dans la Constitution de 1950 qu’on a accordé à la femme haïtienne le droit de vote et d’éligibilité. Environ trente ans plus tard, soit le 8 octobre 1982, un décret sur la femme mariée abolit l’autorité maritale, signe d’un machisme ancré, et la place comme administratrice de la famille au même titre que son mari. Après la plus grande marche de femmes haïtiennes organisée le 3 avril 1986 pour sonner le glas de la dictature et des violations de leurs droits, d’importants droits ont été consacrés dans la Constitution du 29 mars 1987. Les dispositions du Code pénal, du décret du 6 juillet 2005, des conventions ratifiées par Haïti, dont la Convention Belem do Para, témoignent des avancées effectuées en ce sens.
Malgré toutes ces avancées, beaucoup de défis en matière de respect des droits des femmes et des filles sont à relever. En effet, les violations des droits fondamentaux et libertés publiques sont patentes, la question des droits des femmes et filles incarcérées reste jusqu’à présent comme étant un problème non résolu. En atteste ces coupures de presse :
1. Dans les prisons mixtes en Haïti, les cellules des femmes sont proches de celles des hommes. En cas d’accident, ces deux groupes de détenus peuvent se rencontrer. C’est ce qui est arrivé en 2019 à la prison civile des Gonaïves où dix détenues, dont une mineure, avaient subi des viols collectifs.
Rosy Auguste, «Les droits des personnes incarcérées en Haïti sont quotidiennement bafoués, selon un rapport publié lundi par une association de défense des droits de l’homme, qui dénonce des conditions de détention proches (d’actes de torture ) », La Presse, publié le 2018-10-30;
2. Jusqu’à 2018, les femmes haïtiennes sont les plus touchées par la détention préventive prolongée, phénomène découlant de la faiblesse de l’appareil judiciaire. Elles sont 82% de femmes et 95% des jeunes filles en attente de jugement contre 74% de détenus de sexe masculin ; prétextant que les hommes sont plus nombreux à attendre un jugement vu que le chiffre des hommes incarcérés dépasse plus de dix mille, d’après Laura Louis;
3. « La majorité des détenues de la prison civile de Cabaret croupissent dans leurs cellules depuis des années sans avoir été jugées. Le bilan du 1er au 3 avril 2021 de la prison fait état de 246 personnes incarcérées, parmi elles 11 mineures. Seulement 27 d’entre elles, donc moins de 11%, sont condamnées. La justice haïtienne viole nombre de droits fondamentaux de ces femmes qui ont abandonné leurs familles, notamment leurs enfants, depuis des années », Caleb Lefèvre, «Seules 26 femmes sont condamnées à la prison civile de Cabaret», Le Nouvelliste, publié le 2021-04-07;
4. Dans une salle de 10 mètres carrés cohabitent 17 adolescentes de 11 à 17 ans, qui se partagent quatre vieilles couchettes. « Les mineures arrivent souvent pour des petites infractions punissables de 3 à 6 mois, mais elles purgent souvent, sans jugement, entre 5 à 6 années de prison » Rosy Auguste, «Les droits des personnes incarcérées en Haïti sont quotidiennement bafoués, selon un rapport publié lundi par une association de défense des droits de l’homme, qui dénonce des conditions de détention proches (d’actes de torture ) », La Presse, 30 octobre 2018;
5. Une jeune de 19 ans est arrivée pour vol il y a 5 ans. Elle n’a jamais vu de juge;
« Quand nous savons qu’en 2005, une adolescente qui avait des problèmes avec son frère, trouvait qu’elle rentrait trop tard à la maison lui a conduit à un poste de police pour la punir un moment, selon le frère et Depuis elle est enfermée ici», dit-elle résignée;
En outre, il faut tenir compte des diverses répercussions négatives sur les femmes compte tenu des nombreuses turbulences, notamment celles du lendemain du coup d’État de 2004 et la question de l’aide internationale en milieu carcéral (prison pour femmes et filles).
Le coup d’État de 2004 s’est produit après des conflits qui ont survenus plusieurs semaines avant février 2004 et ont forcé le président Jean-Bertrand Aristide a laisser le pays. Quoi que les sympathisants du président Aristide ont toujours proclamé haut et fort que ce dernier a été kidnappé par les forces américaines et que les États-Unis avaient orchestré un coup d’État en Haïti.
Les États-Unis ont commencé l’incarcération de masse en Haïti à partir de zéro depuis le coup d’État de 2004. Les États-Unis et l’ONU ont dépensé pas moins de 10 millions de dollars pour décréter une incarcération de masse, ce qui inclut les 8 millions de dollars qui ont été dépensés pour construire les prisons pour femmes. Les États-Unis ont construit 3 prisons, le Canada en a construit 1. Depuis ce temps, la population carcérale a plus que doublé. La grande majorité des personnes en prison sont détenues pour une durée indéterminée, malades et mal nourries. L’hygiène et d’autres articles essentiels viennent généralement sous forme de dons d’organisations caritatives. L’année dernière, il y a même eu un énorme scandale racontant que 23 femmes et 2 filles ont été battues dans une prison civile. Les enfants laissés pour compte suscitent également de nombreuses inquiétudes. De nombreuses femmes incarcérées ne savent pas du tout où sont leurs enfants.
De plus, il existe un système de corruption répandu, y compris, mais sans s’y limiter, où les gens doivent être soudoyés pour être vus devant un juge. La plupart des gens et la grande majorité des femmes sont touchées par la question de la détention préventive prolongée et ne sont même pas en mesure de se présenter devant un juge pour que leurs affaires soient entendues par un tribunal. Aujourd’hui il s’avère important pour les décideurs de repenser les choses et de mieux prendre en compte la question des droits des femmes et surtout les femmes et filles qui se trouvent dans le milieu carcéral Haïtien.
Vive Haïti, vive la liberté.
John Fency Chery, licencié en Droit.